Je serai à Lausanne à la fin du mois pour donner deux conférences : une sur Zoopolis et l’agentivité animale, l’autre sur les réflexions issues de mon mémoire de recherche en sociologie (une approche matérialiste de la question animale, proche de celle proposée par le courant théorique du black veganism).
Merci à l’EVA, pôle des étudiant·e·s véganes et animalistes de l’association écologiste Unipoly, pour l’invitation !
👉 L’espèce comme variable sociologique : point de vue matérialisme et black veganism
Le spécisme est à l’espèce ce que le racisme est à la race et le sexisme au sexe. Or, plus personne aujourd’hui ne parle de sexe ou de race comme s’il s’agissait de simples appartenances biologiques. On parle de genre, de racisation, de blanchité, de personnes sexisées et racisées… Ces termes, déstabilisants au premier abord, sont le fruit d’un travail épistémologique salutaire. Ils permettent de mieux comprendre les phénomènes complexes que sont le racisme et le sexisme en tant que rapports sociaux. Dès lors, que pourrait donner la démarche visant à faire à l’espèce ce que les études féministes et les études critiques de la race ont fait au sexe et à la race ?
Une telle démarche, dite matérialiste, ne s’intéresse pas tant aux « humains » et aux « animaux » comme groupes naturels qu’à l’humanité et à l’animalité comme classes sociales, et à l’animalisation comme processus politique de mise en altérité et d’infériorisation (Guillaumin, 1985). En ce sens, si tous les animaux sont animalisés, nous ne sommes pas « tous humains », car nombre d’homo sapiens subissent également l’animalisation (Syl Ko, 2020). L’approche matérialiste ouvre donc non seulement la voie à une meilleure compréhension du spécisme comme organisation sociale et système de classes ; elle doit aussi permettre un rapprochement entre théories et luttes antispécistes d’un côté, et théories et luttes antiracistes de l’autre.
👉 Zoopolis : comment cohabiter avec les animaux non-humains ?
L’antispécisme consiste à prendre au sérieux ce que vivent les autres animaux, intimement, à la première personne, en eux-mêmes et pour eux-mêmes : leurs désirs, leurs préférences, leurs besoins. L’abolition des institutions de l’exploitation animale est donc un excellent départ (pour ne pas dire le strict minimum) et une préoccupation légitime des mouvements antispécistes. Mais ce principe de non-nuisance ne sera pas suffisant, car la justice envers les autres animaux ne revient pas à mettre un terme à toute relation avec eux.
Parce que certains sont membres de nos foyers et de nos communautés, que d’autres vivent parmi nous en milieu urbain, que d’autres encore vivent dans la nature mais entrent régulièrement en contact avec des infrastructures humaines, il nous faut réfléchir à la façon de partager les ressources et les lieux avec les animaux, de prendre en considération leurs intérêts et leur agentivité. Autrement dit, l’abolition de l’exploitation animale est le point de départ, et non le terme du projet antispéciste.
Au-delà de la philosophie morale, l’antispécisme relève donc de la théorie et de l’action politique, de l’urbanisme, de l’éthologie, de la géographie et de bien d’autres disciplines. C’est cette approche que je développe dans ma conférence, en m’inspirant notamment de l’ouvrage de théorie politique Zoopolis, de Sue Donaldson et Will Kymlicka.
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